Chapter 9:  Nino Frank and 'poetic' realism in French cinema, 1936-1939

Notes

1 Nino Frank, 'Du nouveau sur les écrans', L'Intransigeant, 20.9.36, p.8.

2 Jean Vidal, 'Un film "populiste": La belle Équipe', Pour Vous, no.409, 17.9.36, p.6. "Populiste" is a reference to novels like Eugène Dabit's Hôtel du Nord, devoted to the lives of the urban poor.

3 Georges Sadoul, 'La belle Équipe, de Julien Duvivier', Regards, no.141, 24.9.36, p.19.

4 Lucien Wahl, 'Un drame nuancé: Jenny', Pour Vous, no.409, 17.9.36, pp.6-7.

5 Alexandre Arnoux, 'Jenny', Les Nouvelles littéraires, 10.10.36.

6 François Vinneuil [Lucien Rebatet], 'Jenny', L'Action française, 16.10.36, p.5.

7 Roger Régent, 'Furie', L'Intransigeant, 20.10.36, p.7.

8 Jean George Auriol, 'Psychologie de la foule: Furie', Pour Vous, no.414, 22.10.36, p.6.

9 Nino Frank, 'Quand on osera se juger', Pour Vous, no.415, 29.10.36, p.6.

10 Robert Curel, 'Quand la lumière pénètre dans les Bas-Fonds', Cinémonde, no.424, 3.12.36, p.897.

11 Georges Sadoul, 'A propos de quelques films récents', Commune, no.39, November 1936, pp.376-377.

12 Nino Frank, ‘Jacques Feyder, la justesse de l’expression’, in Jacques Feyder ou le cinéma concret (Bruxelles: Comité National Jacques Feyder, 1949), p.26.

13 Nino Frank, Petit Cinéma sentimental (Paris: La Nouvelle Édition, 1950), p.89. The original members of the Jury for this prize were: Marcel Achard, Georges Altman, Claude Aveline, Maurice Bessy, Pierre Bost, Odile Cambier, Suzanne Chantal, Louis Cheronnet, Émile Cerquant, Georges Charensol, Georges Cravenne, Benjamin Fainsilber, Nino Frank, Paul Gilson, Paul Gordeaux, Pierre Humbourg, Marcel Idzkowski, Henri Jeanson, André Le Bret, Roger Lesbats, Pierre Ogouz, Roger Régent and Jean Vidal. Almost all these young people were either already significant voices in the film industry, or would become so in the future.

14 Nino Frank, 'A la casbah d'Alger: Pépé le Moko', Pour Vous, no.429, 4.2.37, p.14.

15 Maurice Bessy, 'Pépé le Moko', Cinémonde, no.423, 4.2.37.

16 Pierre Bost, 'Pépé le Moko', Vendredi, no.67, 12.2.37, p.5.

17 Marcel Achard, 'Pépé le Moko', Marianne, no.225, 10.2.37, p.17.

18 Pierre Mac Orlan, La Chronique filmée du mois, no.32, November 1936, reprinted in ‘La chanson’, Les Cahiers Pierre Mac Orlan, no.11 (Paris: Prima Linea, 1996), p.26.

19 Jean Vidal, ‘Francis Carco nous parle de Rue sans Issue dont il a rédigé les sous-titres’, Pour Vous, no.479, 19.1.38, p.6.

20 Henri Jeanson, ‘Rue sans Issue’, La Flèche de Paris, 22.1.38, collected in Jeanson par Jeanson (Paris: Eds. René Chateau, 2000), p.184.

21 Georges Altman, ‘De Kipling aux gangsters, avec le souvenir de Pearl White’, La Lumière, no.618, 10.3.38, p.5.

22 Roger Régent, ‘Un contrôle? Non, une menace! La censure devient plus tyrannique’, Pour Vous, no.478, 12.1.38, p.5.

23 See comprehensive surveys of critical commentaries by Richard Abel, French Film Theory and Criticism 1907-1939, and Charles O’Brien, ‘Film Noir in France: Before the Liberation’, Iris, no.21, Spring 1996.

24 Nino Frank, ‘Scénario romancé: Le Quai des Brumes’, Pour Vous, no.498, 1.6.38, p.14. The importance of chance features throughout Mac Orlan's work; for a succinct description of the workings of fate, see his short story of 1925, Les trois dés, in the collection Manon La Souricière, Nouvelle Revue Française (Paris: Eds. Gallimard, 1986), pp.9-15.

25 ibid.

26 Serge Veber, ‘Quai des Brumes’, Pour Vous, no.497, 25.5.38, p.4.

27 Pierre Bost, ‘Quai des Brumes’, Vendredi, 27.5.38, p.5.

28 ibid.

29 Pierre Mac Orlan, ‘A propos du Quai des Brumes’, Le Figaro, no.138, 18.5.38, p.4.

30 ibid.

31 Francis Carco, ‘La magie de Carné’, Le Figaro, no.152, 1.6.38, p.4.

32 ibid.

33 Frank, Les années 30, où l’on inventait aujourd’hui  (Paris: Pierre Horay, 1969), p.147.

34 Henri Jeanson, ‘Quai des Brumes: Prix Delluc 1939’, La Flèche de Paris, 30.12.38, collected in Jeanson par Jeanson, pp.213-4.

35 René Lehmann, ‘Belle année pour le film français’, Pour Vous, no.529, 4.1.39, p.2.

36 Henri Jeanson, ‘Les films du Milieu ou quand les moralistes s’en mêlent’, La Flèche de Paris, 17.6.38, in Jeanson par Jeanson, pp.199-200.

37 See Georges Sadoul, ‘Quai des Brumes’, Regards, no.228, 26.5.38, p.16.

38 Reported by Marcel Lapierre in Le Merle blanc, no.20, 16.7.38, p.4.

39 Henri Jeanson, ‘Jean Renoir: le plus grand metteur en scène du parti communiste français’, La Flèche de Paris, 12.8.38, collected in Jeanson par Jeanson, p.201.

40 Jean Renoir, 'Trois vedettes dans La Bête humaine', Cinémonde, no.529, 7.12.38, p.1057.

41 Nino Frank, ‘ Le Jour se lève est le film qui m’a coûté le plus d’efforts… nous dit Marcel Carné,’ Pour Vous, no.553, 14.6.39, p.14.

42 Maurice Bessy, ‘Le Jour se lève’, Cinémonde, no.557, 27.6.39, p.2.

43 Emile Vuillermoz, ‘Le Jour se lève’, Le Temps, 17.6.39, p.5.

44 Georges Altman, ‘Le meilleur film du trio Carné-Prévert-Gabin: Le Jour se lève, une œuvre noire et pure’, La Lumière, no.632, 16.6.39, p.5.

45 ibid.

46 ibid.

47 See report in Cinématographie française, no.1079, 8.7.39, p.9.


Original quotations from which translations taken

(numbers match relevant endnotes)

1 d'un seul coup, pour cette troisième semaine de septembre, on nous offre onze films dont pas un ne paraît devoir être indifférent.
   ...qui débute, avec Jenny (dont on dit le plus grand bien), un drame poignant, avec Françoise Rosay et Charles Vanel.
 Allons, au travail. L'automne s'annonce rigoureux.

2 Avec La belle Équipe, M. Julien Duvivier affronte le cinéma "populiste"...Les personnages de La belle Équipe sont, en effet, des ouvriers, des chômeurs, et leur aventure, imaginée par Charles Spaak et Julien Duvivier, n'est pas sans rapport avec celle des chômeurs américains du Pain quotidien de King Vidor...Les cinq hommes traînent ensemble leur vie misérable, quand, un soir, la chance leur sourit. Ils gagnent cent mille francs à la loterie. Comment employer cet argent?
   Toutes les ressources de son art et de son expérience technique, M. Julien Duvivier les a déployées dans une mise en scène vivante, mouvementée, trépidante parfois.

3 La belle Équipe inaugure brillamment la saison du cinéma français. Ce film réaliste, image excellente et juste de la vie et des soucis des hommes...mérite d'être applaudi sans réserve.

4 Voici qu'il nous donne un ouvrage de maître, ouvrage collective certes...mais collectif dans le beau sens du mot, et qui permet à l'animateur d'affirmer sa personnalité et son goût pour le cinéma. Ce film, uni et varié à la fois, nous fait entrer dès ses premières images dans une atmosphère de réalité sensible, et ensuite, quels que soient décors ou situations, une impression prenante d'exactitude nous enveloppe...Jenny comptera parmi les films français importants. Il est divers, vrai, sincère, fort, on l'a fait comprendre tout à l'heure. Il n'a pas un instant de faiblesse.

5 L'événement capital de ce début de saison, au moins du point de vue français, c'est certainement Jenny, film qui nous révèle un jeune metteur en scene. Carné, retenez ce nom...On perçoit dans ce premier ouvrage sorti de sa main une sensibilité, une sûreté, une entente du cinéma, une force intérieure qui promettent beaucoup. Ou je me trompe fort ou nous tenons un homme de grande classe à qui je souhaite qu'on fournisse seulement l'argent et la liberté. Pour le reste, je le juge de taille à s'en charger lui-même.

6 Ce débutant paraît vraiment né pour composer des images de cinéma, ce qui est jusqu'à présent, chez nous, un don assez rare...[mais] on ne peut s'empêcher d'établir une comparaison entre ce naturalisme sans air de Jenny, ce fatalisme pesant, et tant de films judéo-germaniques qui appartinrent à la période socialiste de Berlin et de Vienne, qui étaient aussi étouffants et désespérés...la tristesse qui imprègne tout, la vie quotidienne et les productions de l'esprit dans les époques d'oppression et de chienlit marxiste comme celle que nous sommes en train de subir.

7 Un film comme Furie dresse un réquisitoire implacable contre ce peuple qui trouve son absolution dans sa franchise même, dans cette honnêteté scrupuleuse qui le pousse à étaler ses tares pour essayer de les laver. Le sujet de Furie est la bêtise et la cruauté de la foule dans ses réaction collectives.
   ...il est absolument impossible de faire en France de tels films. Une censure craintive, et peut-être aussi un public moins impartial, interdisent que nous nous montrions avec cette franchise...Les Américains ont le courage de se juger: regrettons de ne pas être aussi "sport".

8 C'est du mouvement violent et impétueux d'une foule irritée qu'il s'agit: de la furie de ces bêtes sauvages que deviennent les humains quand l'instinct de conservation excite en eux la haine et la vengeance.
   ...Fritz Lang, dont on n'a pas oublié les films importants, le saisissant "M" en particulier, a décrit l'effrayante hystérie de la foule comme jamais on n'y avait réussi à l'écran: non pas en multipliant les figurants, mais en éclairant certains aspects de cette masse soudain privée d'âme...Le cinéma a rarement été aussi éloquent, aussi vivant, aussi libéré du roman et du prêche idéologique en même temps. Je crois que Furie atteint son but, qui est de montrer l'ignominie du lynchage, encore en usage aujourd'hui aux Etats-Unis.

9 La France passe, à bon droit, actuellement, pour l'un des pays les plus libres du monde: nous n'y connaissons pas l'hypocrisie anglo-saxonne ou le puritanisme scandinave. Mais nous avons inventé autre chose: notre prestige, auquel il faut éviter de nuire auprès de l'étranger.
   Le vrai, ou ce qui s'inspire directement du vrai, porte, sur le plan dramatique, bien plus loin que ce qui est simplement imaginaire, donc gratuit...Je voudrais simplement que le cinéma francais devienne quelque chose de plus important et nécessaire que ce qu'il est; qu'il s'ennoblisse en osant raconter ce que le livre ose raconter; et qu'il admette une fois pour toutes qu'on peut faire, d'un film, une œuvre de valeur humaine et internationale.

10 Des hommes sans passé, sans présent, sans avenir et qui montrent soudainement l’angoisse tourmentée de leurs regards, de leurs gestes.

11 Le réalisme implique la connaissance du monde qui est le nôtre, la constatation que ce monde contredit les aspirations les plus hautes de l’homme et de l’artiste entraîné, la révolte contre la société qui a créé ce monde inhumain…Les œuvres de Renoir, de Carné, de Feyder, de Duvivier n'auraient pu être produites ailleurs que dans notre pays...la jeune école française, par son réalisme remarquable, crée des atmosphères, des types, des œuvres qui seront connus du monde entier et qui auront, nous en sommes sûrs, l'influence la plus profonde sur l'évolution du cinéma international.

12 une représentation noire et impitoyable de l’existence, représentation qui n’a rien de romantique et qui prend sa place dans la lancée des grands moralistes du XVIIe, les Saint-Simon, les Retz, les Rochefoucauld, de qui elle reprend, à l’écran, dans des formes typiquement cinématographiques, la véhémence, l’intensité et la vigueur. C’est la voie des Vigo, des Carné, des Clouzot, des Grémillon, des Duvivier même – et c’est une voie dont Jacques Feyder a été indéniablement l’initiateur.

13 nous découvrîmes que les publications cinématographiques d'Hollywood donnaient le détail de nos tours de scrutin. Des correspondants zélés les câblaient et on les faisait suivre de commentaires appropriés et copieux...Nous invitâmes à déjeuner, lors de leur passage à Paris, des notabilités d'outre-Atlantique, et leur rendîmes aimablement hommage au dessert...Chose admirable, ces grands hommes nous prenaient nous-mêmes pour de grands hommes...

14 il tiendra le spectateur en haleine par les vertus conjuguées d’un découpage adroit, d’un dialogue aux raccourcis savoureux – le meilleur qu’ait signé Henri Jeanson – et de la très belle interprétation de Jean Gabin… Pourquoi tout cela n’est-il pas bouleversant? Eh bien, parce qu’on ne bouleverse jamais personne avec des scénarios de ce genre, mélange de factice et de banalité, collection de faits sans consistance, de couleur locale et de personnages conventionnels…en fait, il n'est pas plus bête que celui des films de série ordinaires, mais Julien Duvivier mérite mieux que de pareils sujets.

15 un dialogue étourdissant, qui emballe, entraîne, émerveille. Un dialogue à rendre jaloux Pagnol et Achard réunis: une langue vivante, souple, spirituelle…[mais] Pépé le Moko est un drame banal…Cette bande de tueurs professionnels, d’individus hypocrites, de femmes sans souvenirs, est en elle-même assez répugnante.

16 Pépé le Moko est un très bon film, mais un faux grand film…c’est le triomphe du savoir-faire, de la bonne fabrication…M. Duvivier a réussi ce tour de force de rendre acceptable un sujet qui n’avait pas le droit de l’être, de donner de la vraisemblance à tout cela, et, à force d’adresse, de nous intéresser, sinon aux malheurs de Pépé et d’une poule de luxe insupportable, au moins au récit qui nous en est fait.

17 Dans le genre, les américains n’ont pas fait mieux…le classique de l’épopée gangster demeurera probablement Pépé le Moko…Jean Gabin mérite une mention spéciale. C’est notre James Cagney, notre Bancroft et notre Paul Muni.

18 Un des meilleurs écrivains de ce temps, le romancier et le poète Francis Carco… Carco, Dorgelès, Pascin, Chas Laborde, Max Jacob, Erik Satie, Georges Delaw, André Salmon, Guillaume Apollinaire.

19 C’est que la misère a partout le même visage. Les voyous de Rue sans Issue, on les retrouve dans les bas-fonds de toutes les grandes villes, que ce soit à Londres ou à Marseille, à Naples ou Berlin. Ils sont dépeints ici sans pudeur, sans concession, avec un courage peu commun.

20 Rue sans Issue est un film véhément, un film passionné. La misère est à gauche. La richesse est à droite. Voilà tout…On retrouve dans Rue sans Issue – qui demeure pourtant un film original, violent et coloré – les joies mélangées que nous procurèrent Street Scene, Scarface, et La Rue sans Joie [Die Freudlose Gasse de Pabst]…Sans issue en effet.

21 Rue sans Issue, qui faisait vivre, à l’ombre des villas riches et des dancings, un quartier de pauvres où le malheur couve avant d’éclater en crime, posait le problème de la jeunesse livrée à elle-même et à la déchéance… l’on restait saisi à ces images de taudis ouvriers où les toux sonnent, montent, s’étouffent dans les escaliers, où la mère du bandit, avec son visage ex-sangue, sa silhouette épuisée, rumine son noir chagrin.

22 Il sera interdit de faire des films qui pourraient nuire au bon renom de la France à l’étranger, à la morale publique, aux institutions de l’Etat.

24 un promontoire imprégné de brumes – où on trébuche dans des boîtes à sardines vides ou d’infâmes bouteilles, quand ce n’est pas dans un cadavre porté jusque là par les dernières ondes de la nuit ou les archanges du meurtre. L’appellera-t-on la plage de la mort violente et de la peur? Non, mais celle de la déception et des longues agonies, le rendez-vous des épaves, le bout du monde.

25 Cette histoire ne comporte pas de moralité. Je n’oserais pas même dire…que la destinée y joue un rôle. Seul, le hasard, et encore…Il ne s’y trouve pas de fatalité à grandes voiles noires, mais simplement un sous-produit de la fatalité, qui n’est pas un chœur, qui n’est pas un témoin, qui est, à peine, le plus désespérant des symboles: rien qu’un jappement, un aboi plaintif dans la brume, l’aboi d’un chien perdu qui croyait avoir trouvé "quelqu’un".

26 Un excellent scénario, une mise en scène intelligente et sobre, un dialogue juste, une interprétation de très grande classe, un beau succès…Dans le beau roman de Mac Orlan, Prévert a pu glaner les meilleurs éléments de son film; il y a ajouté quelques episodes de son cru, un cru plus jeune qui, en prenant de la bouteille, ira en se bonifiant…Jean Gabin est le Gabin des grands films, le Gabin dont raffolent toutes nos belles-de-jour.

27 On dira que c’est facile de créer une atmosphère avec de la brume; qu’il suffit de faire des images un peu floues. N’en croyez rien. Ce n’est pas la brume qui donne sa couleur, son épaisseur, à ce film. C’est son sujet, le ton du récit, l’exactitude des scènes, et la naissance progressive d’une catastrophe.

28 une œuvre, qui a un ton bien à elle, quelque chose de dur et d’amer, avec des éclats de voix très directs, et qui nous touchent sans recourir à l’éloquence…M. Jean Gabin n’a jamais rien fait de meilleur. De film en film il prend plus de force, et aussi plus de variété; il est la vérité même, dans ce personnage à la fois fermé et bon, malheureux et attendri.

29 …témoignage de la misère, cette misère sans éclat qui traîne dans les bas quartiers des villes comme un brouillard impénétrable. Gabin connait la qualité de cette misère et les images violentes de son silence.

30 Je ne peux vous dire que ma gratitude. Elle est profonde. Elle vient de cette année 1927 où, pour écrire, je me rappelais l’atmosphère de cette chronique de la faim. Il y avait là des fantômes. Ces fantômes réapparaissent aujourd’hui dans un autre décor que celui d’un vieux cabaret de Montmartre. Mais ce sont bien les mêmes.

31 Depuis le premier sang versé, nous n’avons pas cessé d’être hantés et poursuivis par la même et sinistre image. Or, le sang, la misère et le sang, hideusement collés, poissés, agglutinés en un horrible mélange, sont essentiellement des thèmes macorlanesques.

32 M. Prévert, qui connait Mac Orlan, a tiré de son œuvre toutes les conséquences, toutes les résonances voulues avec, d’ailleurs, un art, une force, un tact, une franchise que bien des écrivains peuvent envier et, de son côté, Jean Gabin n’a pas craint d’aborder le monstre face à face et de se colleter farouchement avec lui.

33 C’est le Jean Gabin du Quai des Brumes et d’ailleurs, né de la contamination de l’aventure passive chère à Pierre Mac Orlan par l’esprit corrosif de Jacques Prévert, deux fameux poètes d’une mythologie qui s’adresse aux lecteurs désabusés.

34 On a décerné cette année le Prix Louis Delluc à Marcel Carné, le jeune, le courageux, l’admirable réalisateur de Jenny, de Drôle de Drame, de Quai des Brumes et d’Hôtel du Nord…Il sied d’associer à son triomphe le nom de Jacques Prévert, le merveilleux dialoguiste du Crime de M. Lange et de Quai des Brumes, le singulier poète des chansons d’Agnès Capri et de Marianne Oswald.

35 Le public international montre un goût très vif pour les films français, réalisés d’une façon impeccable, très bien interprétés par des acteurs émérites et bénéficiant de l’apport considérable d’auteurs de talent…Tous les films bâtis sur des scénarios plausibles et bien charpentés, qui montrent la grâce et la force de l’esprit français, tous les films qui exaltent des idées nobles, généreuses, affirment la connaissance et l’étude pittoresque de l’humain: tous les films vraiment français de nature et d’expression.

36 La presse anglaise consacre d’enthousiastes articles aux six films français projetés actuellement à Londres, notamment à un film sur le milieu: Quai des Brumes de Marcel Carné…Quai des Brumes contre quoi s’est exercé avec le plus de violence la verve de ceux qui dans Le Jour, dans Gringoire, dans Je suis Partout prétendent parler au nom de la France.

38 il montre des individus tarés, immoraux, malhonnêtes et que, lorsqu’on voit de tels types, on pense immédiatement qu’il faudrait un maître, un dictateur, une trique pour remettre de l’ordre là-dedans".

39 Le faux Renoir du parti communiste…estime, en effet – tout comme M. Vil Neuil [François Vinneuil] de L’Action française – qu’il faut en finir avec ces films sur la pègre…Le faux Renoir n’oublie jamais qu’il est, avant tout, un agent politique du parti communiste, maquillé en cinéaste. Or, le PC, je ne sais pourquoi, tient Marcel Carné et Jacques Prévert pour de dangereux trotskistes. Donc Quai des Brumes est un crime de haute trahison.

40 Ce mécanicien de locomotive traîne derrière lui une atmosphère aussi lourde que celle de n’importe quel membre de la famille des Atrides…Être tragique au sens classique du mot, et cela en restant coiffé d’une casquette, vêtu d’un bleu de mécanicien et en parlant comme tout le monde, c’est un tour de force que Gabin a accompli.

41 Quand je dis que ce film est le plus difficile que j’aie fait, c’est justement à sa forme, à sa technique et à son style que je fais allusion…le public me suivait-il, accepterait-il ces passages soudains d’un présent extrêmement tendu et violent à un passé plus lent?…l’atmosphère s’apparente, naturellement, au Quai des Brumes. Mais il comporte moins de poésie, moins de psychologie, et la technique y joue un rôle plus important.

42 Carné a fait preuve d’une réelle intrépidité en adaptant une forme très littéraire qui fait appel à l’évocation et aux souvenirs pour nous conter un fait divers assez banal…Le subterfuge technique adopté lui confère un éclat et une sensibilité assez artificielles et pourtant pressantes: là est le tour de force, là est la réussite.

43 une série d’images magnifiques, traitées avec une intelligence, un goût et cette sombre poésie dont Marcel Carné possède le secret. Tout cela est d’une tristesse affreuse. L’auteur insiste sur les laideurs, les impuissances et les tares de l’humanité.

44 Les vaudevillistes ne voient qu’une séquelle des films de gangsters dans un de ces rares films, depuis Pabst et Je suis un évadé [I Am a Fugitive from a Chain Gang], qui traitent de la condition humaine.

45 une œuvre qui se justifie, qui s’impose, par des moyens stricts de cinéma, avec une violence déchirante, noire, mais d’une parfaite pureté…le film a parfois la puissance subversive d’un rêve ou d’une bombe…Et pour la première fois le crime, le suicide ou la souffrance prennent une simplicité nue qui n’éveillent aucun bas instinct, qui semblent s’intégrer tout naturellement, tout fatalement dans le noir d’une vie sans espoir.

46 Ainsi, en quelques images vigoureuses, qui n’ont rien d’un réalisme facile ni d’un littéraire populisme, l’accent est donné. On est dans la misère et dans la peine des hommes...L’homme seul et sa vie comptent à présent…des images qui ne sont jamais vulgaires, banales, ou malsaines. Un film noir, mais propre.